Alors que j’étais en train de bidouiller avec l’éditeur d’images pour vous concocter la superbe (hm, hm) illustration que vous voyez ci-dessus, je me remémorais les nombreuses discussions qui émaillent régulièrement les groupes et forums axés Tarots. Ca commence souvent par une question posée par un(e) débutant(e) qui demande: “Quelle est la meilleure méthode pour apprendre les Arcanes Mineurs?” et on voit se former deux tendances.
Des Rider-istes vont conseiller d’utiliser ce dernier, car les Mineurs sont illustrées et donc faciles à interpréter. Quant aux Marseillais, ils préfèrent se baser sur les chiffres et la couleur, et les associations de couleurs et nombres, car c’est comme ça qu’on leur a appris.
Alors le(a) Débutant(e) interroge? C’est quoi la différence? Les relativistes diront que les deux se valent, “Mais moi je préfère le Marseille (ou le Rider) parce que… “. On cite quelques bouquins, le(a) Débutant(e) a du mal à se faire une idée, on lui recommandera alors, avec justesse, de choisir le Tarot qui lui “parlera” le plus. Et toujours dans la bonne humeur et l’ouverture hein, les Taroteurs sont des gentils, pas des sauvages. Et puis, ils ont bien le droit d’avoir une opinion, non?
En fait aucun de ces Tarots n’est plus “légitime” que l’autre et ils ne devraient pas se faire concurrence au contraire, on devrait apprendre à se servir des deux. Par ailleurs, il s’agit de deux traditions différentes et si vous passez de l’un à l’autre, vous modifiez potentiellement tout son système d’interprétation.
Vraiment?
Je ne vais pas vous ré-écrire un roman sur les origines du Tarot de Marseille sinon vous me trouveriez pénible… mais vous pouvez, si le coeur vous en dit, rafraîchir vos connaissances en lisant cet article paaasssionnant. Ca vous aidera beaucoup à mettre la suite en perspective.
…
C’est fait? Ok, alors, voici la suite 😀
C’est toujours principalement sur base du livre de Paul Huson “Mystical Origins of the Tarots” que je vous fais le résumé suivant.
Origines du Waite: Le Tarot et la Kabbale
On ne peut comprendre comment s’est créé un lien entre Tarot et Kabbale sans parler un peu plus longuement d’Etteilla. Pour le remettre dans son contexte: ce barbier-mathématicien s’était fait apprendre la cartomancie par au moins trois cartomanciens âgés et expérimentés. En 1753, il commence donc à utiliser un jeu de 32 cartes à jouer à des fins divinatoires, et il rencontre un grand succès dans le tout-Paris.
Quelques années plus tard, en 1757, son mentor piémontais l’initia au Tarot qui contenait, selon lui, toute la sagesse et les mystères des Anciens. C’est donc exactement ainsi qu’Etteilla a appréhendé le Tarot: lui prêtant des origines égyptiennes et obscures, et, en tenté de décrypter les secrets de nos Arcanes du plus pur style Européen de la Renaissance… à travers le prisme des… pyramides égyptiennes.
Ses clients sont émerveillés, Etteilla a dessiné son “Tarot Egyptien”, et s’est fait des disciples qui vont propager sa doctrine. Les Arcanes Majeurs d’Etteilla sont totalement réinterprétées en relation avec des mythes tels que celui de la création.
(Nota Bene: La tradition du Tarot de Marseille ne s’est pas embarrassée trop longtemps des Arcanes Majeurs “égyptiennes” plutôt bizarres d’Etteilla. Cependant, ce dernier nous a légué les interprétations de Mineurs, qui lui avaient été apprises par ses professeurs. Ce sont ces interprétations qui sont toujours utilisées chez les cartomanciens “Marseillais” de France et sans doute d’Europe du Sud.)
Plus tard, Court de Gébelin (un ancien pasteur protestant franco-suisse) pense en effet reconnaître dans les Arcanes du Marseille, des symboles de l’ancienne religion égyptienne disparue.
Personne ne l’a contredit puisque de toutes façons, au 18è siècle, comme vous pouvez l’imaginer, personne n’y connaissait grand chose en Egypte ancienne (il fallait se renseigner expressément auprès des auteurs classiques en latin ou en grec) et vous y trouviez encore moins de spécialistes en symboles de “l’ancienne religion disparue”.
C’est donc en 1781 que Court de Gébelin, très imaginatif, a exposé une théorie sur le Tarot, qui allait influencer des générations d’ésotéristes. Il concluait que le Tarot constituait les restes d’un livre écrit par des anciens prêtres égyptiens, ramené en par les Gitans après leur exode d’Egypte.
Pourquoi Court de Gébelin a-t-il choisi l’Egypte plutôt que la Perse, ou la Chine par exemple? Sans doute l’influence d’Etteilla, et surtout parce durant l’Antiquité, les Egyptiens avaient la réputation d’avoir de grands philosophes, et possédaient déjà l’aura de leurs culture mystérieuse et si vieille.
Comme le dit Paul Huson: c’est ainsi que le Tarot fut propulsé dans l’arène des mystères exotiques.
Eliphas Levi ajoute son grain de sel
C’est encore un autre des admirateurs d’Etteilla:, Eliphas Lévi (nom de plume de Louis Alphonse Constant) qui, dans la foulée, a commencé à explorer les possibilités d’analogies entre les 22 Arcanes Majeurs et les 22 lettres de l’Alphabet Hébreu.
Eliphas Levi a donc ajouté une dimension hébraïque au Tarot “Egyptien”. C’est lui aussi qui a fait évoluer la pratique du Tarot jusqu’à la faire sortir des salons et des bistrots pour devenir un outil indispensable à l’étude de la Kaballe chrétienne, ou à certains rituels de Haute Magie.
Levi a également attribué des signes du zodiaque et des planètes à chaque Arcane Majeur. En outre, il a fait correspondre chaque suite avec un Elément: Feu pour les Bâtons, Eau pour les Coupes, Air pour les Epées et Terre pour les Deniers.
Il n’a donné aucune explication sur ce qui l’avait conduit à établir une analogie entre tel Elément et une suite de cartes, mais il a publié ces correspondances en 1860 dans “Histoire de la Magie”.
Pour un Kabbaliste, chaque lettre de l’alphabet hébreu et chaque chiffre de 1 à 10 est relié à une puissance céleste. En faisant correspondre les 22 Atouts avec les lettres en hébreu, Lévi est arrivé à un système d’interprétation qu’il a appelé “Kabbalistique” où chaque carte porte l’énergie de la puissance céleste qui la gouverne.
Qu’est-ce que la Kabbale?
La Kabbale est un écrit hébreu, d’une origine soi-disant très ancienne, voire surnaturelle ou de nature angélique. Les historiens de nos jours s’accordent en général pour dire qu’elle est apparue dans l’Espagne et la Provence du XIIè siècle, et qu’elle repose probablement sur des écrits gnostiques et pythagoréens.
Mais pour Eliphas Levi, la Kaballe était une explication plausible pour des Arcanes égyptiennes qui étaient si mystérieuses.
La Golden Dawn
Alors qu’Etteilla était le point central de dissémination du “Tarot Egyptien” en France, en Angleterre, la Golden Dawn a mis la théorie “kabbalistique” de Lévi en pratique. Ils ont relié les Majeurs aux lettres hébraïques d’une façon légèrement différente, et les ont associées aux sphère séphirotiques de l’Arbre de Vie (ce qui fait que la Justice et la Force portent respectivement les nombres 8 et 11)
Quant aux Arcanes Mineurs, ils ont retravaillé les interprétations d’Etteilla, tout en les mêlant, entre autres avec le symbolisme des 36 décans du zodiaque. C’est compliqué, je vous passe les détails; ces messieurs de la Golden Dawn eux-mêmes ont dû se donner bien des migraines pour assembler un tel puzzle. Vous pourrez creuser la question en lisant Le Livre de Toth d’Aleister Crowley par exemple.
C’est toutefois un travail remarquable qui a été réalisé, et qui garde une très bonne cohérence, si on oublie un peu que le lien entre la Kabbale et le Tarot n’est qu’une pure spéculation, tardive de surcroît. La Golden Dawn a en quelques sortes renouvelé le Tarot en lui apportant une dimension supplémentaire originale.
Bien entendu, la Golden Dawn a créé sa propre version du Tarot, en accord avec leur conception kabbalistique de la chose.
Arthur Waite l’a ensuite fait évoluer en créant ce que nous connaissons aujourd’hui par: le Tarot Rider-Waite. Les Arcanes Mineurs sont magnifiquement illustrées par Pamela Colman Smith.
Vous l’avez compris: la différence entre le Tarot de Marseille et le Tarot de Waite, c’est que ce dernier est… “kabbalistique”.
L’un plus authentique ou meilleur que l’autre?
Ca revient à se demander: est-ce qu’une pomme est plus authentique ou meilleure qu’une poire?
Le Marseille est certes plus ancien mais statistiquement peu utilisé. Le Waite (avec tous ses dérivés, car, il en existe de nombreuses versions modernes et à thèmes) est le Tarot le plus utilisé dans le monde entier (UK, Etats-Unis, Australie, Canada…) et est celui sur lequel on a le plus écrit. Il porte donc une forte énergie.
D’autre part, bien que la fameuse théorie kabbalistique n’ait absolument aucun fondement solide, les interprétations fonctionnent magnifiquement bien. Me demandez pas pourquoi…
Si vous regrettez de ne pas avoir une version du Tarot de Marseille dont les Arcanes Mineurs sont illustrés, dans la plus pure tradition Etteilla-esque, alors procurez-vous le Tarot de Dame Fortune de Paul Huson. (Oui, j’aime beaucoup cet auteur 🙂 )
Il a entièrement redessiné les Mineurs d’après les interprétations laissées par Etteilla, et transmises par Papus et ses autres disciples. Les illustrations sont pleines d’énergie et de couleurs. Le livre qui explique les codes de ce jeu dans la pure tradition du Marseille donne des informations très complètes sur chaque Arcane. Les livres “Le Tarot des Bohémiens” et “Le Tarot Divinatoire” de Papus vous sera également bien utile pour ce retour aux sources, et approfondissez vos recherches via des lectures des auteurs contemporains d’Etteilla, comme ceux cités plus haut. Car en effet, de plus en plus de livres “modernes” en français concernant le Marseille, offrent des clefs d’interprétation influencées de celles de la Golden Dawn.
Au fait, c’est insolite que ce soit un auteur britannique qui illustre “nos” Arcanes Mineurs inspirées du Français Nicolas Conver. Espérons que d’autres jeux totalement illustrés dans la tradition authentique originale du Marseille verront le jour.
(OK, maintenant vous pouvez recommencer à vous dire que, c’est quand même votre Marseille ou votre Rider, qui est le meilleur des deux 🙂