Les Tarots

Qu’est-ce que le Tarot, ce proche cousin des cartes à jouer que nous connaissons ? D’où vient-il? Si il est facile de répondre à la première question, les spécialistes en tous genres ont beaucoup du mal à s’accorder sur la question des origines.

Sans prétention (et sans trop de spéculations romantiques ni de long développement) voici un historique plausible sur les origines de ce jeu mystérieux.

Je préfère vous avertir tout de suite: il n’y a aucune raison de croire que le Tarot est tombé du ciel, ou nous a été livré par des prêtres égyptiens obscurs qui détenaient tous les mystères de l’Univers. Je sais, c’est tout de suite moins glamour mais, le but n’est pas d’écrire des contes de fées et de plutôt s’en tenir à ce que les historiens ont démontré.

Une grande partie des informations exposées dans cette article provient de l’excellent livre de Paul Huson: The Mystic Origins of the Tarot. Il n’est pas traduit en français et c’est une tragédie pour les amoureux de Tarots francophones.

Alors, ces fameuses origines?

Les cartes ont des origines multiples, jusqu’à la Chine, la Perse ou l’Inde, qui utilisaient leur propre système de de cartes à jouer. Sous nos latitudes, nous savons que les cartes étaient déjà utilisées au XIV siècle grâce un édit du Canton de Berne de 1367… qui en interdisait l’utilisation.

En 1980, Michael Dummett, Professeur de Logique à l’université d’Oxford, a démontré que les jeux de cartes allemands et français que nous utilisons actuellement, étaient les héritiers direct de ceux qui étaient populaires en Italie, Espagne et Portugal à la fin du Moyen-Âge, et dont les suites étaient les Coupes, les Deniers, les Epées et les Bâtons.

Dummett a également émis l’hypothèse que les prototypes de ces mêmes jeux de cartes soient originaires du monde islamique, plus précisément de la période Mamelouk. En effet, un jeu de cartes égyptien peint à la main et datant du Xvè siècle a été découvert au musée Topkapi Sarayi à Istanbul en 1939. Ce jeu comprend 4 suites (Coupes, Deniers, Epées et ce qui ressemble à des cannes de polo) …

Illustrations des 4 suites du jeu des Mamlouks

Les Mamlouks l’utilisaient pour jouer au “jeu des Rois et des Députés” (en arabe: Mulûk Wanuwwâb)

Sous nos latitudes, nous savons également de source sûre qu’en 1423, des cartes à jouer étaient fréquemment utilisées pour des jeux de hasard en Italie. A cette période, le moine italien Bernardino de Sienne prêchait, lui, contre les cartes, clamant qu’elles étaient l’invention du Diable, et un passe-temps totalement vain. Mais ce n’est que 20 ans plus tard que nous trouvons la preuve certaine de l’existence de ce que nous appelons aujourd’hui “Tarot”.

Les historiens s’accordent sur l’hypothèse que les 22 Atouts (que nous connaissons comme Arcanes Majeurs) ont été introduits dans les cartes à jouer pour donner une dimension supplémentaire aux jeux déjà existants. Nous ignorons cependant qui a créé ces Atouts, ni si ils étaient produits et vendus systématiquement avec les 52 cartes à jouer habituelles.

Cependant, en 1442 nous trouvons la trace d’une commande effectuée par la maison du Marquis d’Este à un peintre, pour quatre jeux de “Trionfi” (triomphes) comprenant “Coupes, Epées, Deniers et Bâtons” et toutes les figures de quatre jeux d’Atouts.

Les Atouts (atutti en Italien – ce qui signifiée: “pour tout”)  étaient un ensemble de cartes ajoutées aux 52 cartes existantes, et dans un jeu, elles étaient sensées battre n’importe quelle carte des 4 autres suites.

C’est cette addition des Atouts qui a transformé le jeu de cartes traditionnel du nord de l’Italie, en Tarot.

La popularité de ce jeu d’abord réservé aux riches (Este, Visconti…) a gagné les classes populaires de la société grâce à l’imprimerie.

On a également longtemps débattu sur l’identité des artistes ayant illustré les magnifiques cartes que nous ont léguées l’aristocratie du nord de l’Italie. Parmi les noms célèbres, on trouve celui de Bonifacio Bembo, et les frères Zavattari qui avaient des styles différents. Les Atouts étaient illustrés différemment selon les désiderata du donneur d’ordre, ainsi, elles étaient par exemple illustrées avec les personnages de la famille qui passait la commande, ou encore, avec les Rois de l’Antiquité comme dans le Tarot dit de Mantegna datant de 1470, et attribué à l’artiste Andrea Mantegna bien que cette paternité soit douteuse.

Illustration du Tarot de Mantegna, source ici

Le peintre allemand Albrecht Durer s’inspira du travail de Mantegna pour créer plusieurs images de son cru en 1496, dans le style gothique. Il est tout simplement magnifique:

Au XVIè siècle en Italie, les 52 triomphes et les atouts deviennent connus sous le nom de “Tarocchi” (le pluriel de Tarocco”) et la désignation “triomphes” disparaît.

L’auteur Andrea Pollett suggère que le terme “Tarocco” est issu du verbe italien archaïque “Taroccare” qu’il associe au verbe arabe “Taraqa” qui signifie “marteler”. Selon Pollett, “taroccare” renvoie à la technique employée par les forgerons, qui couvraient une surface avec une feuille d’or pour ensuite la marteler. Cette technique a été utilisée dans la plupart des arrière plans des cartes du Visconti, et bien d’autres.

En 1534, le Gargantua que Rabelais nous décrit, joue à un jeu appelé “tarau” ce qui nous indique que le mot italien “Tarocco” a commencé à évoluer vers ce que nous connaissons aujourd’hui comme “Tarot”. En effet, durant le XVIè siècle, le jeu de Tarot s’était exporté d’Italie, probablement par l’intermédiaire de soldats français rentrant au pays après l’occupation de Milan entre 1494 et 1525 – et avait commencé à devenir populaire en France, Belgique, Suisse et Espagne.

Et le jeu de Tarot devint de plus en plus populaire

Des artisans cartiers du 17è et 18è siècle, tels que Jacques Vieville, Jean-Pierre Payen, Jean Noblet ou Jean Dodal, nous ont légués les prémices de ce qui allait devenir nos jeux de Tarots modernes. Ces auteurs ont été plus ou moins oubliés par nos auteurs modernes, qui se sont principalement inspirés de l’oeuvre de Nicola Conver (qui a édité son jeu en 1760 à Marseille)

Le Tarot le plus utilisé de nos jours sur notre continent européen est celui de Paul Marteau, aussi appelé le Grimaud.

Des cartes à jouer au Tarot divinatoire

“Le vrai Tarot est symbolisme: il ne parle pas d’autre language et n’offre pas d’autres signes” (Arthur E. Waite, Soul Symbols)

(Arthur E. Waite, Soul Symbols)
Alliette, aussi connu sous le nom d’Etteilla

Les documents d’archives montrent que Marziano da Tortona, astrologue du Duc Filippo Visconti, lui demanda un jour si il était approprié qu’un homme vertueux de son rang puisse perdre son temps à jouer aux cartes. Visconti répondit que si le jeu était en phase par rapport à la philosophie qu’il représentait, alors, cela valait la peine de persévérer dans sa quête.

Cette anecdote renforce l’idée qu’en ces temps de Renaissance, toute oeuvre d’art était supposée exprimer des idées profondes et pleines de sens, à travers métaphores et allégories.

De nombreux occultistes ont vu dans les symboles du tarot, un chemin initiatique, une possibilité de percevoir les mondes invisibles. C’est le sieur Alliette (plus connu sous le nom d’Etteilla – son nom écrit à l’envers), ancien perruquier, professeur de mathématiques, qui a popularisé la divination par le Tarot, qu’il a appelée cartonomancie – ce qui a donné cartomancie.

Sa contribution à l’évolution du Tarot est très importante: c’est de lui que le Marseille tient son système d’interprétation des Arcanes Mineurs. C’est principalement grâce à lui que le Tarot devient un outil divinatoire populaire.

En 1788, Sur base des travaux de Court de Gébelin, Etteilla a publié un jeu de de 78 cartes – mélange du Tarot de Marseille et d’influences égyptiennes, hébraïques et hermétiques – connu sous le nom de Grand Etteilla (ou Tarot Egyptien).

En effet, Etteilla s’était convaincu d’une origine égypto-hébraïque-gitane et presque mystique du Tarot. Pour cette raison, ses Arcanes Majeurs sont plutôt différentes de celles que l’on connaissait déjà à l’époque (et qu’on utilise toujours) car Etteilla les a fait “coller” avec des mythes tels que celui de la création du monde et avait changé complètement leur numérotation.

Cela fonctionnait pour lui, car on dit que le tout-Paris faisait la file devant son domicile parisien pour se faire tirer les cartes, et qu’il gagnait beaucoup d’argent.

Le Tarot Egyptien d’Etteilla

Ce qui nous ramène à notre première interrogation: qu’est-ce que le Tarot tel que nous le connaissons?

En bref, notre Tarot comporte 78 Lames qui se décomposent de la façon suivante:

– 56 Arcanes mineurs, divisées en 4 couleurs ou enseignes (Coupes, Bâtons, Deniers et Epées) comprenant chacune 10 cartes numérales (de 1 à 10) et 4 Honneurs (valet, cavalier, dame, roi)

– 21 Arcanes majeurs (également appelés Atouts ou Triomphes) numérotées de 1 à 21

– 1 Fou, aussi appelé le Mat, ou le Joker, qui représente à la fois la fin et le commencement. Le Mat n’a pas de numéro; cependant, beaucoup lui attribuent habituellement une valeur, tantôt 0, tantôt 22.

Ce sont ces 22 Arcanes majeurs qui distinguent un jeu de cartes à jouer, d’un jeu de Tarot. A travers les Archétypes qu’elles représentent, ces 22 Lames nous racontent le voyage du Fou, en détails, dans les différents aspects de sa vie.

Les 56 Lames mineures nous éclairent plutôt sur les soucis du quotidien, dans un sens plus pragmatique.

Avant le XVIè siècle cependant, les Atouts n’étaient pas forcément numérotés dans l’ordre que nous connaissons, voire pas numérotés du tout. Ce n’est qu’au siècle suivant que les Atouts sont imprimés avec leur nom et un numéro en chiffre romains, sous l’illustration et cela fixe, en quelque sorte, la séquence qui a survécu et que nous utilisons maintenant.

Et comment ça se passe?

Bah, plutôt très bien. Les Lames nous permettent de plonger dans l’inconscient collectif afin d’en retirer les informations dont nous avons besoin pour répondre à nos questions existentielles ou à nos considérations pratiques.

Je compare souvent les tirages à des bandes dessinées qui sont en quelque sorte le miroir de notre vie, d’une situation, et qui répondent à nos question, qui nous aident à comprendre ce qui se passe vraiment.

Oui, ça marche.

J’espère que cette longue introduction (bien que très très résumée) vous donnera envie d’utiliser les Tarots 🙂

Pour en savoir plus sur la suite de l’histoire, et comment se sont développées deux grandes traditions avec les Tarots de Marseille et Waite-Rider, jetez un oeil ici:

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