Il paraissait m’attendre. Il m’apparut un homme d’environ 45 ans, grand, très beau et séduisant, dégageant beaucoup d’énergie. Il était habillé d’un smoking noir, avec une rose à la boutonnière. Il fumait un cigare, confortablement installé dans un fauteuil pourpre.
Le décor était du genre manoir avec des vieux meubles et antiquités, très beau et cosy. J’étais très mal à l’aise, mon Diable dégageait une sorte de toute-puissance (supposée ou réelle) et son arrogance. Il était imbu de lui, satisfait, ironique, séducteur, complètement détaché émotionnellement, sans scrupules, capable de tout pour autant que ça aille dans le sens de ses intérêts. Un sociopathe, un vrai sale type..
Il se lève et me fait un grand sourire, il est courtois mais je vois de l’ironie dans son regard.
Il me tend la main en faisant une courbette: “Je suis le Diable, je suis absolument enchanté de faire ta connaissance. Puis-je faire quelque chose pour toi?”.
J’hésite avant de lui serrer la main et au moment où je me décide, la main tendue s’évapore et le Diable se met à rire.
“J’ai presque tous les talents. Le principal d’entre eux est cependant l’illusion: je suis le plus grand des manipulateurs. Je ne m’embarrasse pas de compassion, d’authenticité, de besoin de vérité: tous les moyens sont bons pour arriver à mes fins. Je suis un requin en affaires, un homme à femmes, un jouisseur, obsédé par la satisfaction de mes envies. Argent, possessions, sexe, drogues ou paradis artificiels, pouvoir: je ne me refuse rien, j’use et j’abuse.”
Son regard se fait perçant alors qu’il continue son monologue: “Je suis intelligent et cultivé, j’accuse, je divise, je fais semblant, j’imite, je suis rusé. Je suis un monstre d’égoïsme, et je suis le maître à penser de tous ces gens qui placent leurs propres désirs au-dessus de tout le reste. Je vais te souffler des idées inavouables, te donner des trucs qui t’aideront à parvenir à tes fins.
Il se dirige vers un bar en chêne sculpté et se sert ce qui semble être une liqueur dorée dans un très beau verre de cristal qui reflète toutes les couleurs de l’arc-en-ciel.
Il reprend: “Je ne crée rien, je n’enseigne rien, je me fiche de transmettre des connaissances quelconques. Je n’existe que pour moi-même et mon propre agrément. Ceux qui me connaissent bien n’ont pas la bêtise de me faire entièrement confiance, ils savent qu’en suivant mes conseils ils deviennent les esclaves de leurs propres passions. La fidélité non plus n’est pas dans ma nature. Ou plutôt, je pourrais dire que je ne suis fidèle qu’à moi-même. (re-sourire carnassier) As-tu besoin de quoi que ce soit? Nous pourrons sans aucun doute trouver un moyen de te procurer ce qu’il te faut. J’ai toujours plein de bonnes idées faciles à mettre en oeuvre (il se fait séducteur) Rien de forcément méchant bien entendu! Veux-tu t’asseoir pour en discuter et puis-je t’offrir quelque chose à boire?
L’ambiance était tamisée, un second fauteuil pourpre était apparu tout près du sien. Oui, c’était très tentant de rentrer dans le jeu et de continuer la conversation avec le Diable pour voir où ça pouvait mener, mais je savais bien que j’allais pas m’en tirer gagnante. Il avait l’air d’être un bon vendeur
Pourtant, je me suis assise, et en me tendant mon verre il a ajouté:
“Les niaiseries, les scrupules, la gentillesse et toutes ces bêtises, je les ai en horreur. J’espère que tu n’es pas venue là pour me faire perdre mon temps.”
Là instantanément, il s’obscurcit, il semble être moins matériel, il est tout noir comme dans les représentations populaires. Je me suis senti glacée et je me suis dit que c’était peut-être une erreur d’avoir interrogé cette Arcane: j’ai eu peur que ça porte malheur, ou de me voir hantée, esclave de tous les vices, etc. mais cet instant de panique judéo-chrétienne s’est dissipé aussitôt.
Il poursuivit: “Je veux qu’on me prenne au sérieux, je ne suis pas QUE le diablotin rouge assis là sur ton épaule pour te tenter. J’ai apporté la lumière et la connaissance au Monde lorsque j’ai expliqué à Adam et Eve comment déceler le bien du mal, ils se sont rendus compte trop tard que l’ignorance est parfois une bénédiction
(grand rire sonore)
Grâce à leurs connaissances toutes fraîches, ils se sont retrouvés seuls, face à leurs pulsions animales, obligés d’affronter leurs peurs et de s’en affranchir pour survivre.”
“Mais ce n’est pas tout” dit-il encore. “Je fomente des complots à tous les niveaux de l’univers, je vous inspire la satisfaction immédiate de vos désirs matériels et charnels, car c’est ça la vraie vie ! Je prêche l’égoïsme et tous les péchés capitaux et leurs dérivés, comme un mode de vie idéal. Alors, la compassion et l’empathie, ça sera jamais mon truc. Faudra pas venir pleurer quand vous sentirez votre âme se perdre et se consumer dans ses passions. En d’autres termes, avec moi, il n’y a pas de service après-vente.”
Il a repris sa forme initiale avec son sourire séducteur, il tenait d’une main son cigare, de l’autre, son verre. “Si tu as besoin d’un conseil sérieux et avisé, n’hésite pas à me solliciter. Il suffit de m’appeler, je ne suis jamais loin.”
Et il a disparu, et tout le décor après lui.
Finalement ce n’est peut-être pas le Diable en lui-même qui m’a fait peur, c’est plutôt ma propre faiblesse, à laquelle il m’a renvoyée sans pitié. On ne sait jamais, je pourrais avoir envie de me laisser tenter…